Le mois dernier, lors du Rendez-Vous Ancestral, je m'étais retrouvée à Chaumont dans la maison familiale de Nicolas Lacraz, Maître chirurgien, qui venait de perdre son fils Bernard de 37 ans, chirurgien lui aussi. Nous étions en 1731.
J'avais trouvé cet ancêtre très attachant lors de notre rendez-vous et j'avoue que j'ai conservé au fond de mon coeur, un petit faible pour lui.
C'est pourquoi j'ai gardé un oeil sur sa descendance , son fils Bernard décédé, j'ai suivi les enfants qu'il a laissé sous la bonne garde de leur mère Marion de Thiollaz, leur tutrice décédée en 1769 et de leur grand-père Nicolas.
Et aujourd'hui 18 mai 1797 je me retrouve à Chaumont pour le décès de Nicolas, petit fils du précédent et c'est son frère Prosper qui m'accueille.
- Bonjour mon amie ! Mon cher grand-père, Dieu ait son âme, m'a souvent parlé de vous et du réconfort que vous lui avez apporté. Et en ce jour funeste votre présence m'est un doux cataplasme.
- Bonjour Prosper, vous savez donc combien je suis proche de votre famille et je vous prie d'accepter toutes mes condoléances pour la perte de votre frère aîné. Il s'est éteint tranquillement j'espère ?
- Il était alité depuis quelques temps déjà et sentait sa fin proche. Il faut dire que dernièrement il a été très actif sur tous les fronts. Vous savez qu'il était passionné et fort pris par son métier de chirurgien. Il a fallu attendre bien après le décès de notre mère pour qu'il se décide enfin à faire un mariage. Lorsqu'il a convolé avec sa jeune épouse Agathe il avait déjà 47 ans, ce qui ne l'a pas empêché de lui donner 4 beaux enfants.
- Il a travaillé jusqu'au bout ?
- Il ne pouvait pas imaginer qu'il en fut autrement . Bien que notre monde ait complètement basculé ...
- Vous voulez parler de la Révolution ?
- Oui mais pas que ... Nous étions sous la tutelle du Roi de Sardaigne, Duc de Savoie Victor Amédée III et Chaumont a été intégré à la Province de Carouge en 1780, tout ça pour contrer l'essor de Genève avec laquelle nous avions l'habitude de commercer et d'avoir de bonnes relations. Ce fut assez douloureux pour Nicolas. Puis avec la Révolution il y a eu l'invasion de la Savoie par les troupes françaises et nous avons été annexés en 1792. Nous sommes devenus le Département du Mont Blanc mais notre district est resté celui de Carouge.
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- La Révolution c'était la fin des Corporations ?
- Oui elles ont été interdites et l'exercice de la médecine est devenu libre d'accès. Ce fut une bien mauvaise nouvelle pour Nicolas qui sa vie durant a oeuvré pour que la médecine soit reconnue comme une science.
- Je conçois que cela l'ait profondément affecté .
- Oui, certes. Mais peu à peu il y a trouvé son compte puisque avec le nouveau système de santé publique, il est devenu Officier de Santé.
- Dans l'armée ?
- Non. C'était seulement un nouveau terme qui désignait tous les médecins et chirurgiens qu'ils soient qualifiés ou pas, qu'ils soient civils ou militaires. L'objectif était louable, l'officier de santé était chargé du soin de visiter à domicile et gratuitement tous les individus secourus par la nation, les enfants, les vieillards, les indigents. De plus cette nouvelle fonction lui permettait de s'intéresser à la surveillance sanitaire, à la lutte contre les maladies contagieuses et surtout d'être au chevet des malades. Alors il a continué à travailler d'arrache pied.
- Lui qui était si proche de la population, ça n'a pas dû trop le changer mais je suppose que bon nombre de ses confrères devaient être réticents ?
- Oui nous en parlions quelquefois ...
Prosper semble parti dans ses pensées, lors de ses longues discussions avec son frère, discussions certainement passionnantes et animées lorsque l'on vit dans un monde en pleine mutation.
- Alors la médecine l'a porté jusqu'au bout ... c'était vraiment sa passion.
Je ne parlerai pas à Prosper des suites de ce dispositif. Si cette idée de justice sociale a été bénéfique dans les campagnes où l'on manquait de médecins, ce système voulu égalitaire a bien vite dévié et les nombreuses guerres ont contrarié ce crédo. Les officiers de santé ont été de moins en moins formés, absorbés par l'armée ou réduits aux simples soins ordinaires. Quelques années plus tard la Convention a bien vite fait marche arrière en réhabilitant les écoles de médecine.
Cette discussion aurait pu se poursuivre encore mais il se fait tard et Agathe Vuichard aujourd'hui veuve de 45 ans passe la porte et vient chercher son beau-frère. Il est temps que je quitte à regret la famille Lacraz.
- Au revoir Prosper et surtout portez vous bien. Mes voeux vous accompagnent et bonne continuation à votre famille.
Si Nicolas a vécu 70 ans, Prosper survivra 10 ans à son frère. Resté à Chaumont où il cultive ses terres, il s'éteindra à 76 ans le 4 mars 1807, 4 ans après son épouse Raymonde Courtois.