Rivière en Bresse de Puvis de Chavannes

Rivière en Bresse de Puvis de Chavannes

Henri Roussel et Anne Marie Quartier naissent le même jour et sont baptisés le 22 juillet 1773 à Dommartin-les-Cuiseaux. Ils ont le même parrain Claude Guillemot qui habite à Semon hameau de Cuiseaux et qui sait écrire son nom de bien belle manière, chose rare pour l'époque. 

Alors, ont-ils été promis l'un à l'autre dès leur naissance ? Leurs parents sont tous deux manouvriers, l'un à Champagnat, l'autre à Louvarel.

Henri et Anne Marie seront donc des mariés de l'an II puisqu'ils vont se prendre pour époux le 16 pluviose de l'An II  soit le 4 février 1794  à l'âge de 21 ans. Et ce sera à Cuiseaux qu'ils feront toute leur vie. 

Ils sont nés sous la royauté, sous l'Ancien Régime ...

"JEAN-LOUIS PERNIGAUD, ECUYER, CONSEILLER du Roi, Lieutenant-Général du Bailliage, Chancellerie & Siège Présidial de Chalon-sur-Saone, Seigneur de Granges & autres Lieux

Avons coté & paraphé le présent Registre, pour servir & enregistrer les Baptêmes & Mariages qui seront faits dans la Paroisse de Cuiseaux pendant l'année mil sept cent soixante-treize."

... et vont se marier sous la Révolution ....

"Ce jourd'hui seize pluviose de l'An deux de la République française, une indivisible et populaire à dix heures du matin par devant moi Pierre Marie Theophile Dompmartin membre du Conseil general de la Commune de Cuiseaux district de Louhans Departement de Saone et Loire élu le vingt quatre janvier dernier ... (illisible) pour dresser les actes propres à constater la naissance, mariage et décès des citoyens, ont comparu en la salle de la maison commune de Cuiseaux pour contracter mariage

d'une part Henri Roussel laboureur agé de vingt et un ans demeurant au jarret commune de Cuiseaux ...

d'autre part Anne Marie Cartier fille agée de vingt et un an demeurant à Veria municipalité de Champagnat ... y celle autorisée par Claudine Michaud Vve Quartier sa mère et tutrice  illetrée représentée par Joseph Burtin laboureur à Rosieres   agé d'environ soixante ans , époux en secondes noces de Claudine Michaud Vve Quartier ..."

Aux côtés d'Henri, comme témoins ses 2 frères Claude et Jean Claude respectivement 31 et 27 ans, laboureurs au Jarret (ou Jarrey) un hameau de Cuiseaux. Aux côtés de Anne Marie,  Benoît Cartier 55 ans laboureur à Rosières  commune de Champagnat et Jean Gauthier 25 ans laboureur à Cuisia canton de Cousance, le seul qui ait signé de son nom . 

Ce mariage était-il essentiellement un mariage civil ? en tout cas mariage civil et divorce sont institués en 1792. 

Ce jour du 4 février 1794 est aussi noté dans l'histoire à l'encre rouge, en effet la Convention par décret abolit l'esclavage des nègres dans toutes les colonies et leur confère la qualité de citoyen français.  Gageons que cet événement n'est jamais parvenu aux oreilles d'Henri et de Anne Marie ...

Les Roussel : une noce à Cuiseaux en 1794

Henri se marie-t-il comme beaucoup d'hommes en ces années là pour échapper à la conscription ?  Car la République lève en masse pour le service militaire universel et obligatoire, 300 000 hommes entre 17 et 25 ans en 1793 sont appelés sous les drapeaux.

Ce mardi 4 février le cortège est arrivé de bonne heure à Cuiseaux, ce gros village de 1429 âmes. Depuis Champagnat c'est 3 km à battre la campagne, à se promener en longue file, par couples en se donnant le bras. Y avait-il un ménétrier qui précédait la noce ? J'espère que le temps froid n'était pas à la pluie et que la gaieté et la joie étaient de mise. Pour se réchauffer on chantait fort et le vin coulait à flots . Nos noceurs chantaient ils à tue-tête le "Ah ça ira, ça ira" des révolutionnaires vite devenu très populaire. Pour ces paysans, laboureurs, manouvriers,  grâce à la Révolution ils n'étaient dorénavant plus soumis ni à la taille, ni à la gabelle. Bien qu'une taxe sur les marchés ait suscité quelques troubles dans les campagnes.

Mais qu'importe , pour le jeune couple, la fête continue... car déjà pour célébrer la Chandeleur il y a 2 jours ils ont été, comme tout un chacun, bénir un cierge qui permet de se préserver des malheurs surtout lorsqu'on est fiancés. Et comme on dit en Bresse "Chandeleuse, Chandeleure, Bon jour, Bon oeuvre". Et puis c'est l'occasion de manger des matefaims et des marrons et de danser quelques rondes. 

Les fêtes , ils en connaîtront d'autres car  avec la Révolution elles vont voir le jour tout au long de l'année. Et nul besoin d'attendre le 14 juillet et la Fête de la Fédération. Dès le mois de floréal au printemps le jeune couple sera honoré lors de la fête des nouveaux époux , des places d'honneur leur seront réservées et ils se rendront en cortège à l'Hôtel de la Patrie, Henri avec sa cocarde tricolore, Anne Marie parée de fleurs et de rubans tricolores. En été, le premier décadi de messidor  c'est la fête de l'Agriculture pour glorifier le travail agricole. En thermidor, c'est la fête de la Liberté, en fructidor celle de la vieillesse ... 

Mais pour l'heure les réjouissances continuent. Et au repas de noces, bien arrosé, le vin de Cuiseaux ce n'est pas de la piquette ! mangera-t-on du bon boudin ? les gaudes étant réservées aux repas plus communs ! et puis de nouveau des chants, des danses, des amusements grivois ... on oublie un temps le pain noir trempé dans la soupe ! 


 

Igé 71 - Plaque commémorative de la révolte de 1789

Igé 71 - Plaque commémorative de la révolte de 1789

Henri et Anne Marie sont tout à la fête ! Mais comment vivent-ils ces années là ? entre peur ? incertitude ?  espoir ? 

Ont ils conscience qu'un monde vient de changer ? certes ils ont su que leur roi avait été guillotiné, ils ont entendu parlé de ce Cahier de doléances rédigé en mars 1789 à Cuiseaux mais leurs parents bien trop pauvres n'ont pas eu le droit de voter pour élire leurs 20 députés qui iront les représenter à Paris. Il y a bien le curé de Cuiseaux, prêtre assermenté ? C'est lui en ce 14 avril 1790 qui a pris la parole à l'Assemblée Nationale pour voter la loi sur les biens ecclésiastiques. Ont-ils entendu parler de la Grand Peur de l'été 1789 qui fut une véritable révolte sociale des paysans du Maconnais ?

Ont ils conscience que leur pays qu'ils ont toujours connu ne sera plus jamais comme avant ? que leur village n'appartient plus au bailliage de Chalons, ni au diocèse de Saint-Claude mais à ce département de Saône-et-Loire qui vient d'être créé ?  Et que leur chef- lieu selon Condorcet, ne doit pas être à plus d'une journée de cheval aller retour ?

Savent ils que le patois dans lequel ils s'expriment (le bourguignon ? le bressan ?) va disparaître sous les coups de boutoir de l'Abbé Grégoire au profit du français, langue unique ? il devient obligatoire dans les actes publics le 27 janvier 1794.

Savent-ils que l'école primaire va devenir elle aussi obligatoire pour les filles et les garçons et que  leurs enfants pourront ainsi bénéficier d'une instruction, savoir lire et écrire ? 

Que savons-nous de leurs interrogations ?

Au soir de ce 4 février 1794 Henri et Anne Marie sont heureux ...

Un an après naîtra l'aînée Claudine. En tout ils auront 8 enfants : 5 filles et 3 garçons. 

De quoi sera fait leur vie ? au gré des naissances et des mariages de leurs enfants, au gré du travail dur de laboureur, au gré des maladies, des guerres de Napoléon, au gré des invasions que subira la Bourgogne à partir de fin 1813 ...

Henri partira le premier à 54 ans en 1828 et Anne Marie lui survivra 30 ans, elle mourra en 1858 à Cuiseaux chez sa fille Claudine.

 

 

 

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