Marie Françoise Roussel : une vie aux Moissonniers

C'est une fille de septembre, Marie Françoise Roussel ! Conçue pendant les longs mois d'hiver  en 1836 pendant la pandémie de grippe et après la terrible épidémie de variole. C'est la première et unique fille de Claude Jean Baptiste et de Anne Marie Chavanel après 2 garçons Pierre Auguste et Claude Marie. 

Une enfance au Miroir entre son père cantonnier et cultivateur et ses frères, une enfance à aider sa mère aux petits travaux agricoles, à s'occuper de la basse-cour, à ramasser les récoltes mais aussi à faire le pain ou la lessive . Marie Françoise fréquente-t-elle l'école ? a-t-elle appris à écrire avec l'instituteur du village  Emiland Janiaud qui sera le témoin pour la naissance de ses futurs enfants ? ou l'école était elle réservée aux garçons ? En dehors de ses frères, leur domicile accueille aussi un Joseph Roussel 8 ans -un cousin ? fils d'un Pierre Roussel - qui peut ainsi seconder le chef de famille. Marie apprécie la vie dans ce quartier des Moissonniers où elle connait toutes les familles. Mais les parents quittent le Miroir pour s'installer à Mallerey dans le Jura à une vingtaine de kilomètres, peut être la chance d'un travail mieux rémunéré ....

Et le malheur arrive vite , trop vite, Marie n'a que 11 ans lorsque sa mère 45 ans meurt emportée par la maladie ?  par une froide nuit de janvier.  Puis elle apprend que son frère aîné, Marie Joseph, dragon, est hospitalisé à l'hôpital de Dijon où il décède des suites d'une typhoïde. 

Marie Françoise ne tient pas à passer pour une mijaurée aux yeux de ses frères et de son père,  alors elle travaille dur et abat plus que sa tâche. Mais pour son père la charge est trop lourde. Il ne peut rester sans femme à la ferme. Il se souvient alors de la fille d'Etienne Dumond son voisin lorsqu'il habitait au Miroir. Etienne n'avait que cette fille née d'un premier mariage, les trois autres enfants étaient tous morts très jeunes. Aussi tenait-il particulièrement à sa Marie Claudine. La jeune femme, elle a alors 36 ans, peine à trouver un époux car elle est affligée d'un handicap, peut être rédhibitoire pour l'époque, elle boite.

Aussitôt dit, aussitôt fait 4 mois après elle devient la belle mère de Marie Françoise ... Ce mariage a-t-il rapporté quelques profits à Jean Baptiste, des terres, une ferme  ou un arrangement entre hommes ? A la mort de son beau-père Etienne , Claude Jean Baptiste accueille sa veuve Reine Nomard. Jean Baptiste est mentionné dans le recensement des familles comme propriétaire cultivateur.  

Ce mariage permet surtout aux Roussel de se réinstaller aux Moissonniers et Marie retrouve avec plaisir ses habitudes de petite fille et sa campagne. C'est elle qui va chercher les herbes et l'oseille pour la soupe et c'est non sans plaisir qu'elle retrouve le bonheur de tremper ses pieds dans l'eau fraîche de la Gizia.

Marie grandit et devient jeune fille. Au recensement de 1856, Marie est seule avec son père et sa belle-mère, les garçons ne sont plus à la maison. 

Ferme bressane - Musée de Courtes

Ferme bressane - Musée de Courtes

La seconde épouse de Jean Baptiste, Marie Claudine ne pouvant guère assumer de gros travaux, c'est elle qui prépare les repas pour la maisonnée. Dans la cuisine rudimentaire peu d'ustensiles : un pot, une crémaillère, une marmite, une poêle à longue manche pour les crêpes et pour manger on a besoin de peu de choses une écuelle et une cuillère sans oublier le couteau de poche. Les repas, on les adapte à la saison et aux travaux des champs et on coupe la journée avec des goûters.

Pour manger on s'installe dans l'unique grande pièce, l'hutau, sur des bancs tout autour de la grande table à "yettes" à tirettes , les tiroirs servant de rangement.  L'été avant le lever du soleil la soupe d'orge battue cuite avec du lait et du pain de maïs émietté est un régal et permet de partir le ventre plein pour les travaux de la ferme. A la mi journée quand Jean Baptiste rentrera la soupe aux légumes sera prête avec un peu de fromage et le soir les gaudes au lait avec la farine de maïs permettent de s'endormir rassasié.

Marie Françoise, elle, aime les matefains et se régale avec les pommes de terre cuites sous la cendre. On ne mange guère de viande , les volailles que l'on élève sont réservées à la vente ou alors on les égorge seulement pour les fêtes , quant au porc il assure le mardi-gras et son lard améliore la soupe tout au long de l'année ! Après la veillée, il ne reste qu'à s'étendre sur les lits placés sur les côtés de l'hutau et le sommeil vient vite après une journée de travail.. 

Le temps s'écoule tranquillement entre les travaux des champs, les travaux domestiques, la messe du dimanche, et le marché hebdomadaire où se font les rencontres. Marie a 20 ans, elle aime se faire belle pour les fêtes de village, grâce aux doigts agiles de sa belle-mère couturière. Elle aime les veillées animées et espère bientôt rencontrer un fiancé.

Comment s'est elle entichée de Claude Marie Uny ? Certes il a belle allure, elle le rencontre souvent dans les champs aux Petits Taillets tout à côté des Moissonniers car il travaille comme domestique cultivateur chez le Sieur Claude Villancher. Il est seul, ses parents sont décédés, reste à convaincre son père . Une fois les "approchailles" passées, on peut enfin penser aux accordailles et se rendre chez le notaire Me Morel à Cuiseaux. Et à 23 ans, en 1861 Marie Françoise peut enfin revêtir une robe de mariée. Un beau mariage d'été en plein mois de juillet !   

Ses années aux côtés de Claude Marie seront brèves, 4 ans seulement. Une fille naît prénommée elle aussi Marie Françoise . A peine le temps de faire la fête et de marier son frère Auguste en janvier et en février nouvelle catastrophe , c'est le décès de son mari dans la nuit du 19 février 1865. C'est son père Claude Jean Baptiste et l'aubergiste qui signalent le décès à 3h du matin. A 33 ans de quoi Claude Marie est il mort ?  une rixe ? une soirée arrosée ? un accident ? Alors on arrête pendules et horloges, on voile et on retourne les miroirs , on ferme les volets et on peut accueillir les visiteurs pour la veillée mortuaire en ayant pris soin de poser à côté du lit, un crucifix, un cierge bénit de la Chandeleur, un verre d'eau bénite et un rameau de buis.  Claude sera enterré le surlendemain. 

 

Noce bressane de Paul Buisson - 1857

Noce bressane de Paul Buisson - 1857

L'heure du deuil est arrivé pour Marie Françoise, pendant 2 ans elle va s'habiller de noir , elle qui était si coquette ! Ce deuil est il un mal pour un bien ? Marie aime la vie et n'entend pas se laisser gagner par la mélancolie, d'ailleurs la vie quotidienne ne lui en laisse guère le temps !

Elle doit se trouver un mari. Et pourquoi pas le fils aîné des Badot ? Ce sera encore un Claude Marie ! Il cultive la terre à Frontenaud au hameau de Rarefay. Claude a 27 ans, Marie la jeune veuve 30. Alors a-t-on fait "le tracassin" ? une sorte de charivari , tradition bressane lorsqu'un célibataire épouse une veuve ? Le mariage a lieu le 5 décembre 1867, un mariage d'hiver et avant on est passé chez Me Morel à Cuiseaux pour répartir les quelques biens venant des deux familles. 

Aux Moissonniers, la situation a changé Claude Jean Baptiste est seul, veuf . Il s'avère que son gendre Claude Marie le seconde activement aux travaux des champs. Le bonheur se réinstalle aussi avec la naissance deux ans après d'une petite Marie Elise puis d'un fils Eugène en 1872. Quant à sa première fille Marie Françoise elle a déjà 8 ans et remplit sa part de travail. Aux Moissonniers la vie renaît avec les rires, les chamailleries et les pleurs des enfants . 

Le temps passe, Marie peut enfin souffler, s'occuper de sa maisonnée et des travaux agricoles et son père, confiant, laisse la main à son gendre. Pour Marie le bonheur est complet, en avril 1885 elle a marié sa fille Marie Françoise qui s'est installée là dans le voisinage avec son mari Elie Humbert . Et bientôt leurs enfants vont être accueillis chez leur grand mère aux Moissonniers. Ce rôle de grand-mère plaît beaucoup à Marie Françoise , elle retrouve ainsi un peu de son enfance. Mais sa fille Marie Françoise Uny perdra de nombreux enfants qui ne survivront pas. Installée dans le Jura à Maynal puis à Cuisia, elle divorcera de son mari en 1909 et reviendra un temps au Miroir auprès de sa mère.

Entre temps Claude Jean Baptiste Roussel décède en janvier 1891. Ce qui permet à Claude Marie Badot de prendre officiellement les rênes de la maisonnée et de devenir propriétaire de la ferme. 

Marie Françoise aura ainsi eu une fin de vie heureuse, en famille, dans cette ferme des Moissonniers qu'elle apprécie tant depuis son enfance.

La voilà entrée dans le 20ème siècle, ses enfants feront leur vie dans d'autres conditions. Des deux enfants qu'elle a eu avec son second époux,  l'une Marie Elise mourra jeune à 12 ans et Eugène restera célibataire et apportera ses bras à la ferme.  Marie Françoise a le temps de voir son fils Eugène être appelé pour la mobilisation générale. Elle ne le reverra pas bien qu'il soit réformé en février 1915. 

Marie Françoise s'éteint à 77 ans aux Moissonniers un jour de janvier 1915 . Son mari ne prendra pas d'autre épouse. Sa dernière trace remonte au recensement de 1921, Claude Marie  habite toujours dans la ferme des Moissonniers avec son fils Eugène 49 ans célibataire et Louise Laure Humbert l'une des petites filles de Marie née en 1899 qui doit ainsi veiller sur ces deux hommes restés seuls. 

La Gizia

La Gizia

Retour à l'accueil