Le vapeur "France" 1910

Le vapeur "France" 1910

Jean Sulpice Gassilloud est le 5ème enfant d'une fratrie de onze et le 3ème garçon du couple Guillaume Gassilloud et Georgine Chatenoud.

Lorsqu'il naît en 1858, son père vient d'être élu Syndic d'Eloise . Deux ans plus tard, la commune est définitivement annexée à la France. Pour Guillaume c'est le premier de ses mandats et il en est heureux, l'arrivée de ce 3ème fils le comble de bonheur.

Pour Jean c'est l'école, les travaux agricoles et la vie à Eloise dans cette grande famille des Gassilloud.

Son avenir, il y pense, il sera cultivateur ...

Les vies de Jean Sulpice Gassilloud

 

Mais le service militaire va changer la donne. En 1878, bon pour le service actif sous le matricule 296, il  découvre un autre monde et s'engage dans une nouvelle voie.

Il est nommé Gendarme dans la Compagnie de la Haute-Savoie le 6 septembre 1884.

Et pour lui, c'est une nouvelle vie qui commence. Jean est devenu fonctionnaire, comme un instituteur , bicorne en plus ! et même si on ne gagne pas lourd, la solde tombe tous les mois. pour un salaire annuel de 1200 francs.

Les vies de Jean Sulpice Gassilloud

En 1889 il est affecté à Alby-sur-Chéran et rencontre une jeune femme Marie Murgier dont il tombe amoureux .

Ou peut être est-ce elle qui succombe au charme de l'uniforme et du bicorne ! Il faut dire qu'en cette fin de siècle, la société et les mentalités sont en plein bouleversement. Le gendarme, symbole républicain, a bonne presse parmi la population, à l'instar des instituteurs "ces hussards noirs de la République". Lors de la fête nationale du 14 juillet, les gendarmes peuvent désormais défiler et comme le raconte Maurice Genevoix : dans les campagnes ce sont eux qui "donnent le ton, l'éclat, la fougue et la magnificence."

"C’était très beau. Quant aux gendarmes eux-mêmes, Ah ! qu’en dire ? Du bicorne aux éperons, sublimes. Et d’abord ce bicorne : noir, passementé de blanc et d’argenté, cocardé de tricolore, coiffé de front, la façade offerte et les pointes latéralement, à la Napoléon. La tunique : noire aussi, aux parements rouges, aux pans relevés en triangle, sanglée d’un baudrier miroitant, ornée d’aiguillettes d’argent. Tout cela [donnait] une atmosphère d’épopée."

Donc, notre Marie Murgier est folle de lui ... et lui, le lui rend bien ! Pierre Murgier, le père de la belle est boulanger au Pont-Neuf. Et lorsque les deux jeunes gens commencent à se fréquenter assidûment et à parler mariage, le père de Marie fait grise mine et montre sa désapprobation ! Certes Marie est majeure, elle a plus de 30 ans  mais va-t-elle laisser ainsi tomber son pauvre père veuf ! épouser un étranger qui vient d'on ne sait où, d'un village éloigné et gendarme de surcroît ! Ce sera non ! Il avait d'autres projets pour sa fille et la maintenir à la maison pour qu'elle s'occupe de lui ! Pierre aurait préféré un paysan ou un commerçant ! Car là, il va perdre sa fille qui va aller vivre à la caserne sous les ordres des chefs et des règlements, elle va devoir suivre son mari au fil des mutations. Bref, il n'aura plus la main sur elle, l'ordre séculaire des choses est en train de basculer et ça ne plaît pas du tout à Pierre Murgier !

Marie tient bon , pour elle c'est une chance inespérée pour que sa vie change du tout au tout ! En 1893 L'Echo de la Gendarmerie explique que  « les filles de la campagne ont une préférence marquée pour les employés de l’État en général et pour les gendarmes en particulier » ? Grâce au mariage, « elles abandonnent poules et canards, elles ne sont plus astreintes au dur labeur des champs et elles sont appelées “Madame”.

Georgine, la mère de Jean, elle,  bien sûr est  consentante -Guillaume est décédé, et son fils est majeur, et elle ne veut que son bonheur.

En fin de compte, Marie n'a plus qu'une seule solution , se résoudre à déposer une demande d'acte respectueux appelé aussi sommations respectueuses auprès de son père.

Ceci m'a laissée perplexe car c'est la toute première fois que je trouve cette mention dans un acte de mariage et bien vite le réseau de généalogistes sur Twitter a levé mes doutes ! Le père étant opposé au mariage, sa fille a donc fait rédiger un acte notarié pour autoriser son projet d'union. Pierre Murgier l'a accepté, sinon elle pouvait encore faire deux demandes, de toute façon à la troisième le mariage était autorisé !

C'est ainsi que le mariage de nos deux tourtereaux est célébré en juin 1889 et il est suivi le 10 janvier 1890 par une naissance, celle de Georgine Pierrette.

Le couple au départ installé à Alby ne tardera pas à bouger au gré des nominations de Jean. Un temps il est gendarme à Saint-Jean-d'Aulps. 

Jean Sulpice, Marie et la petite Georgine

Jean Sulpice, Marie et la petite Georgine

Recensement de 1896

Recensement de 1896

Pourtant il ne restera pas longtemps gendarme et sera admis à faire valoir sa retraite proportionnelle dès 1895. Le 15 septembre 1895 l'Echo de la Gendarmerie publie la liste de ses pensionnés et on peut lire "Gassilloud Jean Sulpice , sergent, gendarme à la compagnie de la Haute-Savoie, 19 ans 2 mois 27 jours de service, 624 francs."

Cette somme ne perturbe guère Jean qui en 1889 a hérité tout comme ses onze frères et soeurs et sa mère de l'opulente succession de Guillaume Gassilloud. "une maison d'habitation et ses dépendances, , une cave, un caveau au rez de chaussée et un fenil au dessus ... un hangar, une écurie à porc ainsi qu'un four et une parcelle de jardin" ... ainsi que de nombreuses autres parcelles , pièces de terre, champs, prés artificiels et bois...

Ainsi pour Jean et Marie une troisième vie peut commencer. Le couple s'installe à Annecy au 49 Avenue du Parmelan , maison Croset comme le précise le recensement de 1896.

Le Syndicat d'Initiative

Le Syndicat d'Initiative

Finies les villes de garnison, Annecy c'est la grande ville, en cette fin de siècle elle est devenue la capitale administrative du département, presque l'égale de Chambéry !  elle compte près de 12 000 habitants en 1890. Ville d'industries grâce à la force motrice du Thiou et au développement des transports, le train à vapeur arrive à Annecy en 1866 et de nouvelles voies ferrées sont peu à peu ouvertes,  Annecy devient  l'une des étapes du P-L-M . En 1861 l'empereur offre à la ville son premier bateau à vapeur ce qui va devenir l'attraction numéro 1 . Le Lac ! Et voilà c'est parti pour le début de l'aventure touristique ! Entre les fabuleux paysages du lac et des montagnes, les beautés naturelles de la région, Annecy a tous les atouts en main. 

En conséquence, Camille Dunant -grande figure annécienne- crée le 4 février 1895 le  Syndicat d'Initiative d'Annecy. 

C'est le second en France après celui de Grenoble.  Cette toute nouvelle entité organise de nombreux événements et les hôtels de la ville voient déferler les touristes français et étrangers. Le Syndicat est alors situé à l'angle de la rue du Pâquier et du Quai Eustache Chappuis et reçoit dès 1895 500 demandes de renseignements.  

Notre Jean Sulpice prend une part active à ce remarquable développement de la ville et devient gérant ou secrétaire du syndicat d'initiative. 

Ainsi la vie de Jean et de Marie amorce un nouveau virage dans cette belle ville. C'est là que Jean vivra ces dernières heures et qu'il s'éteindra juste avant l'hiver car à Annecy ne dit-on pas " Quand il n'est pas pressé, l'hiver arrive à la Saint-André" et la traditionnelle foire de la Saint-André était annoncé pour les 2, 3 et 4 décembre cette année 1907. Jean Sulpice s'en est allé à 49 ans au cours d'un triste mois de novembre. Lors de ses funérailles, la foule fut nombreuse à se presser à son enterrement et les éloges vinrent saluer "un excellent homme qui sera beaucoup regretté" ainsi qu'en témoignent les gazettes annéciennes. 

Et voilà , partie de rien , une date de naissance et de mariage , alertée par la mention "d'un acte respectueux", j'ai tiré avec plaisir et gourmandise un à un les fils de la vie de Jean Sulpice et bien m'en a pris car cet ancêtre (dont je suis l'arrière petite fille de son cousin Hector) , ancêtre qui aurait pu rester quasi anonyme, s'avère être un homme aimable, un homme curieux, un homme respectable, bref, un homme bien !

 

L'Avenir Savoyard et l'Indicateur de la Savoie 1907L'Avenir Savoyard et l'Indicateur de la Savoie 1907

L'Avenir Savoyard et l'Indicateur de la Savoie 1907

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